Numéro 4563 du 24/09/2025
Ici un aperçu du numéro: https://www.spirou.com/game-over-sauve-qui-pue/
Je mets le lien vers la version numérique de L’arrière boutique de Patelin car on y trouve des documents intéressants moins évidents dans la version papier : Patelin réalise ses scénarios sous forme entièrement dessinée et mise en page, alors qu’il n’est aucunement dessinateur, au contraire de Cauvin qui réalisait aussi ses scénarios ainsi, et ce scénario dessiné sert de fond de page dans la version papier, qui privilégie l’aspect graphique, alors qu’ils sont directement montrés dans la version numérique, qui n’a pas de contraintes de place : encore une fois, une contrainte a mené à une plus grande créativité. On y trouve aussi la confirmation que Midam est le maître d’œuvre de Game over, les scénarios étant faits par Patelin (et parfois d’autres) et les dessins par Adam, les trois noms étant bien indiqués sur les couvertures des albums, alors que seul celui de Midam figure sur ceux des albums de Kid Paddle, bien qu’il travaille aussi avec des assistants pour cette série (Patelin encore, et Ian Dairin au dessin, pour le gag de ce numéro), qui ressemble donc plus au studio Hergé (qui signait seul ses productions), alors que Game over est plus proche dans la présentation de Peyo ou Franquin qui eux indiquaient leurs collaborateurs. Ceci dit, la couverture est signée par Midam seul, et on voit qu’il s’est fait plaisir dans la représentation des rats velus. Elle rend d’autant plus délectable le dessin final de l’histoire, avec Mickey proclamant Game over, en faisant ressortir le contraste entre la mignonne souris aseptisée de Disney et les rats de couverture.
https://www.spirou.com/larriere-boutique-patelin/
Patelin fait par ailleurs une remarque relativement amusante, qui se passe de commentaires : “La couverture de ce Spirou était au départ prévue pour notre nouvel album. Midam l’a finalement proposée à la rédaction, qui nous a demandé d’en tirer une histoire de quatre pages, format exceptionnellement long pour moi.” Ceci dit, l’histoire a beau faire quatre pages, elle est structurée avec des gags finals dans ses deux premières pages qui auraient pu être des gags de Game over à part entière.
Les Fabrice se lancent dans ce qui aurait pu être une performance eut-elle été réussie, L’édito muet (comme les gags de Game over), Fantasperge est Game over mais il lui reste un nombre impressionnant de vies qui lui permettront de subir encore de nombreuses années La malédiction de la page 13, quant à Joann et Annie Pastor, ils ont fait des Jeux Exit game grouillant de personnages, à l’opposé des planches dépouillées sauf nécessité scénaristique de Kid Paddle et Game over.
Dans les séries (a suivre), un chapitre un peu longuet où son frère et ses amis vont jouer aux ninjas pour retrouver Louca qui se cache, Champignac joue lui à l’espion pour trouver où vont être lancées les bombes atomiques, une longue séquence dialoguée dans une belle ambiance automnale au bout de laquelle les sœurs Grémillet vont se trouver une nouvelle mission pour jouer aux détectives, et un nouveau chapitre sous forme de récit complet de Dakota 1880, le Lucky Luke de Brüno et Appollo, avec un Lucky Luke peu présent, et passif, le moins que l’on puisse dire puisqu’on le voit essentiellement soigné après avoir réchappé à une pendaison, ce qui nous permet d’apprendre l’origine de son surnom, à lui donné par la grand’mère du narrateur de l’histoire, le jeune Baldwin, car elle a vu en lui quelque chose de spécial. En huit pages les auteurs font se télescoper plusieurs légendes, l’origine du nom de Lucky Luke, l’univers de la Nouvelle Orléans, son multiculturalisme, son multilinguisme, ses rituels vaudou, et la première d’une longue série de promesses non tenues faite aux noirs dès leur libération de l’esclavage.
Dans les gags, Manoir à louer met en scène le seul personnage de la série à ne pas lire Spirou, le jeune fils de la famille, Paul Martin et Manu Boisteau sortent une nouvelle fois du format strip pour faire de la place au robot géant en lequel a été transformé, sans difficulté apparente, le paquebot de Titan inc., une irrationnalité graphique sur laquelle Nob n’a pas osé s’aventurer : il a représenté les fans de Mouf sous forme de hordes de chiens, ce qui suppose que les chiens suivraient les réseaux sociaux. Or, Dad n’étant pas une série surréaliste, à la différence de Titan inc., les fans de Moufs sont très certainement des humains, mais dessiner Dad et Mouf poursuivis par des hordes d’ados aurait été choquant dans le cadre de cette série familiale. Ce ne sont pas que les corps, des humains comme des zombies, que Stella Lory désarticule dans Working dead, la perspective en prend aussi un coup, ce qui ajoute à l’ambiance de la série. Quant à La pause-cartoon, on y trouve, sur quatre gags, trois gags d’humour noir, dans Des gens et inversement, Fish n chips et Tash et Trash. Le Supplément abonné est un livret amusant de Mathilde Ruau et Simon Mitteault, Cuisine Toque-toque, proposant trois recettes simples et contemporaines (gnocchis de patates douces).
Enfin, dans le rédactionnel, En direct de la rédac, outre les rubriques habituelles (courrier des lecteurs, résultat de concours, strip) présente Désastrologie : l’horoscope approximatif de Spirou, qui se veut sans doute une parodie de telles rubriques régulières dans d’autres types de magazines, qui offrent également, comme le supplément, des recettes de cuisine. Coïncidence ? Spirou et moi est consacré à l’autrice Cy (qui est un pseudonyme, comme pour Cy Twombly, Lucky Luke et Seccotine, dont le vrai nom commencera à être révélé dans le prochain Spirou), dessinatrice de Ana et l’Entremonde avec Marc Dubuisson (scénariste de Working dead) et autrice complète du surprenant Radium girls, qui en dépit de son titre n’a pas vraiment de rapport avec le Champignac en cours sur le nucléaire, et que je conseille. Elle parle du Petit Spirou et ses « blagues d’adultes », ce qui est aussi mon point de vue, de mademoiselle Chiffre qui n’y est qu’un « intérêt amoureux », alors qu’elle ne l’est pas plus que d’autres personnages de la série, masculins comme féminins, qui semblent n’exister qu’en fonction de leurs désirs sexuels ou de ceux qu’ils provoquent, ce qu’elle considère comme un « stigmate des années 1990/2000 », ce qui n’est pas faux, mais remonte à bien plus loin, et termine en espérant ne pas répéter aujourd’hui les clichés d’hier, bien qu’elle ne se fasse pas d’illusion sur le fait que la BD d’aujourd’hui porte « les stigmates des années 2020 ». Certains de ceux-ci sont faciles à identifier : les héros de BD traditionnels étaient des redresseurs de torts, et si ça leur est largement passé, ce rôle a été repris par nombre d’auteurs qui tentent dans leurs BD de redresser les torts du passé. Autre signe des temps, En direct du futur qui annonce la suite de Mi-Mouche et interroge sa dessinatrice Carole Maurel sur sa légitimité a dessiner un récit sur la boxe, l’argument, désespérant, étant qu’elle en pratique elle-même. Quelle légitimité avait donc Franquin à dessiner un marsupilami, Midam à dessiner Kid Paddle, lui qui n’est pas particulièrement fan de jeux vidéos, quelle légitimité ont Appollo et Brüno à dessiner un cow-boy et un enfant d’esclave, quelle légitimité a le rédacteur à poser cette question à Carole Maurel ? On se croirait de retour en mai 68 et ses suspicieux « D’où parles-tu, camarade? »
Cette semaine dans le journal de Spirou j'ai aimé...
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heijingling
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Re: Cette semaine dans le journal de Spirou j'ai aimé...
" Monólogo significa el mono que habla solo." Ramón Gómez de la Serna dans ses Greguerías.
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heijingling
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Re: Cette semaine dans le journal de Spirou j'ai aimé...
Numéro 4564 du 01/10/2025
Ici un aperçu du numéro: https://www.spirou.com/nouvelle-serie-seccotine/
Cette semaine, Spirou joue au Moustique, le magazine réel fondé par les éditions Dupuis mais où sont censés travailler Fantasio et Seccotine et dont la fonction en tant que magazine de fiction est de fournir non pas tant des reportages que des scoops, et à ce titre réalise le tour de force et le gag d’en produire trois imbriqués: d'abord dans le dessin de couverture par Elric Dufau, la révélation par Seccotine de la raison du vol du Manneken-pis (l’équivalent bruxellois du vol de la Tour Eiffel chez Superdupont (par Gotlib, Lob et Al Coutelis) ou Fearless Fosdick (par Al Capp), puis, présentée par Spirou toujours sous la plume d’Elric Dufau, Seccotine passe du statut d’enquêteuse à celui d’enquêtée puisque l’on va apprendre pourquoi elle s’appelle ainsi, enfin page suivante dans Manoir à louer l’enfant abonné à Spirou s’apprete à révéler à une acheteuse en kiosque que “dans ce numéro on apprend que…” avant que son père l’interrompe.
L’histoire de Seccotine est introduite par une planche d’Elric Dufau sous forme de rappel de qui est Seccotine en fiction historicisée (grande reportrice à l’instar de Gerda Taro et qui comme elle officie sous pseudonyme, mais esthétiquement elles n’ont rien à voir, voir ici (attention lien politique) https://www.discogs.com/master/56788-Or ... Y1NDI3NQ== , en 1960 elle a réalisé un reportage sur les marsupilami, Fournier explique qu’il l’a abandonnée car il ne la supportait pas dès l’enfance, « elle devait être irritante », mais ajoute que c’était une erreur. Dans Et Franquin créa Lagaffe, Numa Sadoul fait la même remarque : « Elle est parfaitement imbuvable et désagréable », ce à quoi Franquin lui retorque à juste titre « Tu la trouves imbuvable ? Elle est plutôt intelligente. Mais tu t’identifies aux héros, voila pourquoi elle t’énerve. » Outre le fait que je ne l’ai jamais trouvée irritante, mais je suis d’une autre génération que Fournier et Sadoul, et n’ai jamais eu de réflexes de petit garçon qui refuse de jouer avec les filles, et ai encore moins gardé adulte ces réflexes, rappelons que lorsque Fournier reprit Spirou, Franquin lui-même n’avait plus utilisé Seccotine depuis plus de dix ans, et ce n’est pas la faute de Fournier si pour les repreneurs suivants de Spirou hériter de deux personnages féminins importants a été une trop lourde tâche...). Quant à l’histoire elle-même, regarder la couverture suffit pratiquement à se dispenser de la lire : Seccotine y retrouve le Manneken-pis dérobé par trois gamins, et on y apprend l’origine de son surnom (si l’on ne s’en était jamais douté, ce qui est bien improbable). Le seul point notable, surprenant, est que dans son travail de bureau elle s’y révèle une Gaston Lagaffe. Le dessin d’Elric est égal à lui-même, dans la lignée des suiveurs de Franquin pour Modeste et Pompon, Attanasio et Mittéï, mais soixante ans plus tard, et son encrage à la plume cracheuse ne fait pas illusion envers la vivacité du trait de Franquin. Par contre, le rendu des décors bruxellois de Thierry Capezzone transmettent une vraie ambiance. Je passe sur le fait que la tentative de transition avec La corne de rhinocéros dans l’explosion de la dernière case soit techniquement impossible, et je regrette juste que le personnage y soit totalement anecdotique, aux antipodes de celui animé par Franquin : exemplaire est à ce titre l’ultime scène de La corne de rhinocéros, où elle détourne un poudrier en un gadget d’espion, ce qui pour le résultat en fait une James Bond femelle l’année même de la création de l’agent secret, ce qui est déjà une extraordinaire saisie de l’air du temps, mais le détournement même de cet ultime artefact de la soi disant superficialité féminine et sa réappropriation la situe dans le même espace mental que des artistes telles que Tanaka Atsuko (Robe électrique, 1956), Lygia Clark (Bichos, depuis 1960), Dara Birnbaum (Technology/Transformation: Wonder Woman 1978-79), Louise Bourgeois (Araignées, Woven child) ou Annette Messager (Mes petites effigies, 1988). Fantasio et sa pipe et sa montre camouflant un appareil photo pour une même scène finale de Les pirates du silence n’en sera qu’une piètre réplique masculine deux ans plus tard (je fais un peu dans l’emphase en réaction à la platitude de ce On a volé le Manneken-pis).
Toute autre est l’esthétique promue dans Champignac Les années noires, qui joue dans le registre du leitmotiv wagnerien, avec les Ce n’est pas négociable et Pourquoi Orphée s’est-il retourné répétés à l’envie. Champignac y est par ailleurs dans ce dernier chapitre aussi un James Bond en son genre, traversant comme une fleur l’Asie du sud-est en guerre pour finir par une méditation romantique dans un jardin japonais au milieu d’élégantes grues alors que Nagasaki se fait atomiser. Par contre, je n’ai pas saisi pourquoi Champignac a été morose durant presque toute l’histoire, accablé par la perte de Blair, son amoureuse, alors que celle-ci l’accompagnait durant pratiquement chaque scène (quand ce n’était pas cette âme sœur de Rick - Richard Feynman) sous forme de fantôme : puisque Beka, les scénaristes, ont jugé bon d'utiliser Hiroshima et Nagasaki comme simple toile de fond pour leur tragédie sentimentale (ils ont tout de même osé mettre dans la bouche de leur personnage fantôme « Les morts ne veulent pas revenir, je suis bien là où je suis » alors qu’ils ont montré le bombardement de Nagasaki page précédente), ils auraient pu ébaucher des scènes sur les représentations de la perte des êtres aimés, sous formes d’ombres, de souvenirs, il y a des précédents (Hiroshima mon amour), ils n’ont pas été plus loin que la citation d’Einstein « l’énergie ne meurt jamais » (elle aussi répétée), ils sont restés en surface de leur sujet. Par contre, Etien a fait une intéressante représentation sale et rugueuse de l’explosion atomique, évitant l’écueil des explosions esthétiques que l’on voit trop souvent. Et, ce n’est pas la faute des auteurs, mais l’euphémisme de l’année va au résumé de l’histoire qui présente la deuxième guerre mondiale, la plus meurtrière de l’histoire, où ont eu lieu entre autres horreurs la Shoah et deux bombardements atomiques, comme « un contexte mondial tendu »...
Un chapitre que Bruno Dequier a du craindre un peu statique pour Louca, puisqu’il n’est fait que de dialogues, et pour lequel il a pour éviter cela multiplié les jeux graphiques (planche 41) et les cadrages excessifs (plongées complètes planches 43-44) et même un gag tendant vers le vulgaire avec un des personnages ambigüs (qui par la taille et les fréquentations semble un jeune gamin mais a pourtant un embryon de moustache), un chapitre ralenti donc, pour préparer ce qui va être la grande révélation de cette histoire dans le chapitre suivant. Révélation aussi dans ce troisième chapitre de l’histoire des sœurs Grémillet Le gardien de la forêt, sur la jeunesse de leur mère, tandis que les sœurs découvrent dans la forêt un très bel exemplaire de ces usines « chateaux de l’industrie » abondamment bâtis entre les XIXe et XXe siècles, avec une belle trouvaille graphique d’Alessandro Barbucci de l’avoir accolée à une falaise.
Seccotine apparaît de nouveau dans L’édito des Fabrice, où ils font se croiser la journaliste fictionnelle du Moustique avec un nouveau personnage, Alice, véritable secrétaire de rédaction de Spirou, (où quand des méta réalités se télescopent), ainsi que dans les Jeux de Liroy, dans En direct de la rédac, où son article sur la disparition du Manneken-pis est repris sous forme d’un articulet humoristique, et dans le dessin original de Tarrin pour la publicité pour Le trésor de San Inferno, l’aventure de Spirou et Fantasio classique (ou l’aventure classique de Spirou et Fantasio, les deux intitulés sont présents) de Trondheim et Tarrin où elle est représentée en arrière plan dans le rôle de fouineuse dans lequel l’on repoussée les auteurs.
Dans les gags, ceux de Pernille de Dav, Cyril Trichet et Esteban, de L’épée de bois de Jonathan Munoz et Anne-Claire Thibault-Jouvray, et Kahl et Pörth de Frantz Hofmann, Ced et Annelise, trois séries de fantaisie médiévale, sont assez réussis car basés sur les personnalités et les relations entre les personnages, avec une touche d’humour noir. Paul Martin et Manu Boisteau imaginent une convaincante représentation graphique du déni de réalité dans Titan inc., dans Les Fifiches du Proprofesseur et Des gens et inversement, Lécroart et Berth renouvellent des gags éculés, dans le strip Mauvaises graines, la dessinatrice Anne-Perrine Couet crée enfin des fleurs plus personnelles que celles qu’elle utilisait jusqu’ici, trop proches involontairement de Georgette, celle de Gally, qui fait par ailleurs une amusante Leçon de BD, mais il est dommage qu’elle nous gratifie d’une remarque littérale sur la littéralité des encadrés dans Blake et Mortimer, ratant leur dimension dramaturgique. Enfin, les strips de Bertschy pour Nelson sont ouvertement une publicité pour un album de compilation hors série de Nelson,et Dad apparaît autant d’une autre génération que les contempteurs de Seccotine lorsqu’il est effrayé et dégoûté par une araignée dans les toilettes, alors que sa fille la trouve mignonne. Dommage que Nob n’ait pas osé la représenter en gros plan telle que vue par Roxanne.
Une dernière publicité pour un album de Noël au Lombard pourrait sembler étrangement en avance s’il ne s’agissait d’une jolie idée d’un album de l’avent, donc à se procurer avant début décembre.
Ici un aperçu du numéro: https://www.spirou.com/nouvelle-serie-seccotine/
Cette semaine, Spirou joue au Moustique, le magazine réel fondé par les éditions Dupuis mais où sont censés travailler Fantasio et Seccotine et dont la fonction en tant que magazine de fiction est de fournir non pas tant des reportages que des scoops, et à ce titre réalise le tour de force et le gag d’en produire trois imbriqués: d'abord dans le dessin de couverture par Elric Dufau, la révélation par Seccotine de la raison du vol du Manneken-pis (l’équivalent bruxellois du vol de la Tour Eiffel chez Superdupont (par Gotlib, Lob et Al Coutelis) ou Fearless Fosdick (par Al Capp), puis, présentée par Spirou toujours sous la plume d’Elric Dufau, Seccotine passe du statut d’enquêteuse à celui d’enquêtée puisque l’on va apprendre pourquoi elle s’appelle ainsi, enfin page suivante dans Manoir à louer l’enfant abonné à Spirou s’apprete à révéler à une acheteuse en kiosque que “dans ce numéro on apprend que…” avant que son père l’interrompe.
L’histoire de Seccotine est introduite par une planche d’Elric Dufau sous forme de rappel de qui est Seccotine en fiction historicisée (grande reportrice à l’instar de Gerda Taro et qui comme elle officie sous pseudonyme, mais esthétiquement elles n’ont rien à voir, voir ici (attention lien politique) https://www.discogs.com/master/56788-Or ... Y1NDI3NQ== , en 1960 elle a réalisé un reportage sur les marsupilami, Fournier explique qu’il l’a abandonnée car il ne la supportait pas dès l’enfance, « elle devait être irritante », mais ajoute que c’était une erreur. Dans Et Franquin créa Lagaffe, Numa Sadoul fait la même remarque : « Elle est parfaitement imbuvable et désagréable », ce à quoi Franquin lui retorque à juste titre « Tu la trouves imbuvable ? Elle est plutôt intelligente. Mais tu t’identifies aux héros, voila pourquoi elle t’énerve. » Outre le fait que je ne l’ai jamais trouvée irritante, mais je suis d’une autre génération que Fournier et Sadoul, et n’ai jamais eu de réflexes de petit garçon qui refuse de jouer avec les filles, et ai encore moins gardé adulte ces réflexes, rappelons que lorsque Fournier reprit Spirou, Franquin lui-même n’avait plus utilisé Seccotine depuis plus de dix ans, et ce n’est pas la faute de Fournier si pour les repreneurs suivants de Spirou hériter de deux personnages féminins importants a été une trop lourde tâche...). Quant à l’histoire elle-même, regarder la couverture suffit pratiquement à se dispenser de la lire : Seccotine y retrouve le Manneken-pis dérobé par trois gamins, et on y apprend l’origine de son surnom (si l’on ne s’en était jamais douté, ce qui est bien improbable). Le seul point notable, surprenant, est que dans son travail de bureau elle s’y révèle une Gaston Lagaffe. Le dessin d’Elric est égal à lui-même, dans la lignée des suiveurs de Franquin pour Modeste et Pompon, Attanasio et Mittéï, mais soixante ans plus tard, et son encrage à la plume cracheuse ne fait pas illusion envers la vivacité du trait de Franquin. Par contre, le rendu des décors bruxellois de Thierry Capezzone transmettent une vraie ambiance. Je passe sur le fait que la tentative de transition avec La corne de rhinocéros dans l’explosion de la dernière case soit techniquement impossible, et je regrette juste que le personnage y soit totalement anecdotique, aux antipodes de celui animé par Franquin : exemplaire est à ce titre l’ultime scène de La corne de rhinocéros, où elle détourne un poudrier en un gadget d’espion, ce qui pour le résultat en fait une James Bond femelle l’année même de la création de l’agent secret, ce qui est déjà une extraordinaire saisie de l’air du temps, mais le détournement même de cet ultime artefact de la soi disant superficialité féminine et sa réappropriation la situe dans le même espace mental que des artistes telles que Tanaka Atsuko (Robe électrique, 1956), Lygia Clark (Bichos, depuis 1960), Dara Birnbaum (Technology/Transformation: Wonder Woman 1978-79), Louise Bourgeois (Araignées, Woven child) ou Annette Messager (Mes petites effigies, 1988). Fantasio et sa pipe et sa montre camouflant un appareil photo pour une même scène finale de Les pirates du silence n’en sera qu’une piètre réplique masculine deux ans plus tard (je fais un peu dans l’emphase en réaction à la platitude de ce On a volé le Manneken-pis).
Toute autre est l’esthétique promue dans Champignac Les années noires, qui joue dans le registre du leitmotiv wagnerien, avec les Ce n’est pas négociable et Pourquoi Orphée s’est-il retourné répétés à l’envie. Champignac y est par ailleurs dans ce dernier chapitre aussi un James Bond en son genre, traversant comme une fleur l’Asie du sud-est en guerre pour finir par une méditation romantique dans un jardin japonais au milieu d’élégantes grues alors que Nagasaki se fait atomiser. Par contre, je n’ai pas saisi pourquoi Champignac a été morose durant presque toute l’histoire, accablé par la perte de Blair, son amoureuse, alors que celle-ci l’accompagnait durant pratiquement chaque scène (quand ce n’était pas cette âme sœur de Rick - Richard Feynman) sous forme de fantôme : puisque Beka, les scénaristes, ont jugé bon d'utiliser Hiroshima et Nagasaki comme simple toile de fond pour leur tragédie sentimentale (ils ont tout de même osé mettre dans la bouche de leur personnage fantôme « Les morts ne veulent pas revenir, je suis bien là où je suis » alors qu’ils ont montré le bombardement de Nagasaki page précédente), ils auraient pu ébaucher des scènes sur les représentations de la perte des êtres aimés, sous formes d’ombres, de souvenirs, il y a des précédents (Hiroshima mon amour), ils n’ont pas été plus loin que la citation d’Einstein « l’énergie ne meurt jamais » (elle aussi répétée), ils sont restés en surface de leur sujet. Par contre, Etien a fait une intéressante représentation sale et rugueuse de l’explosion atomique, évitant l’écueil des explosions esthétiques que l’on voit trop souvent. Et, ce n’est pas la faute des auteurs, mais l’euphémisme de l’année va au résumé de l’histoire qui présente la deuxième guerre mondiale, la plus meurtrière de l’histoire, où ont eu lieu entre autres horreurs la Shoah et deux bombardements atomiques, comme « un contexte mondial tendu »...
Un chapitre que Bruno Dequier a du craindre un peu statique pour Louca, puisqu’il n’est fait que de dialogues, et pour lequel il a pour éviter cela multiplié les jeux graphiques (planche 41) et les cadrages excessifs (plongées complètes planches 43-44) et même un gag tendant vers le vulgaire avec un des personnages ambigüs (qui par la taille et les fréquentations semble un jeune gamin mais a pourtant un embryon de moustache), un chapitre ralenti donc, pour préparer ce qui va être la grande révélation de cette histoire dans le chapitre suivant. Révélation aussi dans ce troisième chapitre de l’histoire des sœurs Grémillet Le gardien de la forêt, sur la jeunesse de leur mère, tandis que les sœurs découvrent dans la forêt un très bel exemplaire de ces usines « chateaux de l’industrie » abondamment bâtis entre les XIXe et XXe siècles, avec une belle trouvaille graphique d’Alessandro Barbucci de l’avoir accolée à une falaise.
Seccotine apparaît de nouveau dans L’édito des Fabrice, où ils font se croiser la journaliste fictionnelle du Moustique avec un nouveau personnage, Alice, véritable secrétaire de rédaction de Spirou, (où quand des méta réalités se télescopent), ainsi que dans les Jeux de Liroy, dans En direct de la rédac, où son article sur la disparition du Manneken-pis est repris sous forme d’un articulet humoristique, et dans le dessin original de Tarrin pour la publicité pour Le trésor de San Inferno, l’aventure de Spirou et Fantasio classique (ou l’aventure classique de Spirou et Fantasio, les deux intitulés sont présents) de Trondheim et Tarrin où elle est représentée en arrière plan dans le rôle de fouineuse dans lequel l’on repoussée les auteurs.
Dans les gags, ceux de Pernille de Dav, Cyril Trichet et Esteban, de L’épée de bois de Jonathan Munoz et Anne-Claire Thibault-Jouvray, et Kahl et Pörth de Frantz Hofmann, Ced et Annelise, trois séries de fantaisie médiévale, sont assez réussis car basés sur les personnalités et les relations entre les personnages, avec une touche d’humour noir. Paul Martin et Manu Boisteau imaginent une convaincante représentation graphique du déni de réalité dans Titan inc., dans Les Fifiches du Proprofesseur et Des gens et inversement, Lécroart et Berth renouvellent des gags éculés, dans le strip Mauvaises graines, la dessinatrice Anne-Perrine Couet crée enfin des fleurs plus personnelles que celles qu’elle utilisait jusqu’ici, trop proches involontairement de Georgette, celle de Gally, qui fait par ailleurs une amusante Leçon de BD, mais il est dommage qu’elle nous gratifie d’une remarque littérale sur la littéralité des encadrés dans Blake et Mortimer, ratant leur dimension dramaturgique. Enfin, les strips de Bertschy pour Nelson sont ouvertement une publicité pour un album de compilation hors série de Nelson,et Dad apparaît autant d’une autre génération que les contempteurs de Seccotine lorsqu’il est effrayé et dégoûté par une araignée dans les toilettes, alors que sa fille la trouve mignonne. Dommage que Nob n’ait pas osé la représenter en gros plan telle que vue par Roxanne.
Une dernière publicité pour un album de Noël au Lombard pourrait sembler étrangement en avance s’il ne s’agissait d’une jolie idée d’un album de l’avent, donc à se procurer avant début décembre.
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