Re: Cette semaine dans le journal de Spirou j'ai aimé...
Posté : mer. 15 janv. 2025 22:57
Numéro 4526 du 08/01/2025
Ici un aperçu du numéro: https://www.spirou.com/actualites/somma ... -de-spirou
Après le numéro 4491 dont la couverture nous plongeait en 1961 pour une histoire de Spirou classique, nous voici en 1943, avec bandeau titre d’époque, ainsi que la typographie et une impression sur papier jauni sur les 13 premières pages, pour introduire la deuxième partie de la série Les amis de Spirou, et encore une fois l’effet est réussi. Pour présenter cette histoire, une page de rappel sur ce qu’était Spirou en 1943, en particulier son importance et son succès : 152000 exemplaires par semaine en 1942, plus 44000 pour Robbedoes (Robbedoes n’existe plus depuis 2005, et la diffusion pour la France de Spirou en 2024 était de 37 559 https://www.acpm.fr/Support/spirou ), mais aussi l’attitude et les actions de résistance du rédacteur en chef officieux Jean Doisy, et la suppression de Spirou en septembre. « Pourquoi les nazis interdisent le journal de Spirou en 1943 ? » demande l’article, « Plusieurs hypothèses circulent. » Comme souvent, la vérité est qu’il a dû y avoir une accumulation de raisons concomitantes, mais partir sur des phrases telles que « il se dit aussi que... » est certainement plus mystérieux que l’énoncé plat de faits. Comme si cela n’avait pas suffit d’attendre deux ans, Jean-David Morvan et David Evrad ne reprennent pas là où ils avaient interrompu l’épisode précédent, la scène angoissante où la jeune ADS Spirouette recevait un coup de poignard du jeune rexiste Poildur, mais pour entretenir plus sadiquement encore le suspense, ils ouvrent l’épisode sur une séquence dévoilant une arme secrète nazie et on ne saura pas encore cette semaine ce qu’il advient de Spirouette. Dès ce chapitre, la série équilibre bien aventure traditionnelle et didactisme, avec toutefois des clins d’œil trop ostensibles, affectant la fluidité de lecture (les gros plans sur la glacière M. Tillieux). Le dessin de David Evrad est dans la lignée franco-belge, avec des accents modernistes, comme l’encrage tremblé et les planches emplissant toute la page, ce qui est donc toujours le cas de trois des séries (à suivre) sur les quatre du numéro. Cela donne ici lieu à une créativité dans la mise en page, avec La malédiction de la page 13 de Sti (amusante sur ce « papier à l’ancienne qui gratte ») et une très bonne intervention de Lécroart sur le code secret des ADS devant se nicher dans les interstices de la marge. Les clés dudit code se trouvent dans le Supplément abonnés, une « carte d’identité de Amis de spirou », avec une parodie du code d’honneur des ADS, code d’honneur aussi chamboulé dans les Jeux de Joan et Annie Pastor, où « l’insupportable milice rexiste » en prend pour son grade. La thématique 1943 sur pages jaunies se complète avec un Kid Paddle et son père en as de l’aviation durant la guerre, l’appel de De Gaulle aux résistants en messages codés improbables dans L’édito des Fabrice et un test pour savoir si l’on est un véritable fan des Amis de Spirou, mêlant questions pointues sur la personnalité des auteurs, questions hautement morales dans la tradition ADS et loufoqueries.
Fin du Lucky Luke Un cow-boy sous pression, dans lequel l’humour référentiel omniprésent finit par construire un commentaire en basse continue à l’histoire elle-même, sur le thème de la lutte des classes, avec une première fin attendue mais nécessaire des Dalton voulant piller la caisse de grève et tombent sur une caisse remplie du Kapital de Marx, une deuxième en apothéose de jeux de mots sur les noms des Dalton et de Lucky Luke, et une ultime qui joue sur la fin emblématique de la série, le cow-boy dans le soleil couchant. Achdé, Jul et Mel Acryl’Ink ont réussi une très bonne cuvée, en équilibre entre l’aventure traditionnelle et le regard actualisé sur celle-ci. Amusante coïncidence, la planche de La leçon de BD est un clin d’œil très futé à Lucky Luke. Par contre, le commentaire de Laurel passe à côté de ce qui fait l’intérêt de cette planche comme de ses vraies faiblesses.
Suite de L’île de Minuit, après une longue mise en place de l’ambiance inquiétante, la menace se concrétise enfin avec la disparition d’une des protagonistes, tout en gardant le mystère sur ce qu’elle est vraiment, fantastique ou humaine. De grandes cases panoramiques rouge et or de Stéphane Perger illustrent les razzias qu’ont repris les Aryanas pour se procurer des esclaves, avec la permission de Tanis, victime de l’illusion de l’amour, et de l’hubris de son ami devenu dieu. Le couple de scénaristes Denis Bajram et Valérie Mangin est d’ailleurs l’invité de Bienvenue dans mon atelier, parlant de la forte marque qu’ont imprimé sur eux (et pas qu’eux, sur des générations de lecteurs de Spirou) des séries comme Papyrus et Yoko Tsuno, par leur mélange de rigueur documentaire et de fantastique et leurs univers inédits à l'époque, et dont il faudra bien un jour songer à mettre en avant l'importance historique. Ils soulignent aussi l’importance pour eux des sagas comme l’exploration de l’espace, Conan (le barbare, pas le détective, quoique lui aussi s’inscrive dans la tradition du roman-fleuve) ou Goldorak, que Bajram a d’ailleurs repris pour un album avec une bande de copains.
Dans les gags et strips, Jilème et Sophie David consacrent ceux de Brad Rock à une voisine échappée d’un western qui canarde au gros sel tout ce qui ose s’approcher de sa propriété, Dav et Cyril Trichet mettent en scène dans Pernille un émule de Godzilla, Romain Pujol et Zimra une nouvelle version du requin du bocal d'Emmanuelle Eeckhout dans Psychotine (et passent en revue les animaux fantastiques faisant semble-t-il rêver les enfants d’aujourd’hui, de la licorne au singe devinant l’avenir), et Midam, Benz, Adam et Angèle des « gants au métomol » dans Game over. Dans les mers, après les demandes au père Noël, c’est au psy du bord que Paul Martin et Manu Boisteau font demander de l’aide par les passagers et membres d’équipage angoissés de Titan Inc., alors que Tom prolonge les résolutions de nouvel an dans Fish n chips. Gary C. Neel de Ced et Gorobei continue d’affirmer sa personnalité, avec la profonde assertion que « la charcuterie résout tous les problèmes » tandis que Tash et Trash de Dino renouent avec l’absurde philosophique et que Berth dans Des gens et inversement et le Bon d’abonnement de Cromheecke et Thiriet font des gags très drôles, tendance cynique absurde. Enfin, ce numéro se conclut sur un excellent Dad flashbacks de Nob, qui annonce l’arrivée de la dernière des filles, Bébérénice, où Panda prononce le « théorème de base que l’amour, ça ne se divise pas, ça se multiplie», et qui induit une réflexion sur le radical changement d’image des clowns dans notre société, sur lequel il y aurait long à dire.
Ici un aperçu du numéro: https://www.spirou.com/actualites/somma ... -de-spirou
Après le numéro 4491 dont la couverture nous plongeait en 1961 pour une histoire de Spirou classique, nous voici en 1943, avec bandeau titre d’époque, ainsi que la typographie et une impression sur papier jauni sur les 13 premières pages, pour introduire la deuxième partie de la série Les amis de Spirou, et encore une fois l’effet est réussi. Pour présenter cette histoire, une page de rappel sur ce qu’était Spirou en 1943, en particulier son importance et son succès : 152000 exemplaires par semaine en 1942, plus 44000 pour Robbedoes (Robbedoes n’existe plus depuis 2005, et la diffusion pour la France de Spirou en 2024 était de 37 559 https://www.acpm.fr/Support/spirou ), mais aussi l’attitude et les actions de résistance du rédacteur en chef officieux Jean Doisy, et la suppression de Spirou en septembre. « Pourquoi les nazis interdisent le journal de Spirou en 1943 ? » demande l’article, « Plusieurs hypothèses circulent. » Comme souvent, la vérité est qu’il a dû y avoir une accumulation de raisons concomitantes, mais partir sur des phrases telles que « il se dit aussi que... » est certainement plus mystérieux que l’énoncé plat de faits. Comme si cela n’avait pas suffit d’attendre deux ans, Jean-David Morvan et David Evrad ne reprennent pas là où ils avaient interrompu l’épisode précédent, la scène angoissante où la jeune ADS Spirouette recevait un coup de poignard du jeune rexiste Poildur, mais pour entretenir plus sadiquement encore le suspense, ils ouvrent l’épisode sur une séquence dévoilant une arme secrète nazie et on ne saura pas encore cette semaine ce qu’il advient de Spirouette. Dès ce chapitre, la série équilibre bien aventure traditionnelle et didactisme, avec toutefois des clins d’œil trop ostensibles, affectant la fluidité de lecture (les gros plans sur la glacière M. Tillieux). Le dessin de David Evrad est dans la lignée franco-belge, avec des accents modernistes, comme l’encrage tremblé et les planches emplissant toute la page, ce qui est donc toujours le cas de trois des séries (à suivre) sur les quatre du numéro. Cela donne ici lieu à une créativité dans la mise en page, avec La malédiction de la page 13 de Sti (amusante sur ce « papier à l’ancienne qui gratte ») et une très bonne intervention de Lécroart sur le code secret des ADS devant se nicher dans les interstices de la marge. Les clés dudit code se trouvent dans le Supplément abonnés, une « carte d’identité de Amis de spirou », avec une parodie du code d’honneur des ADS, code d’honneur aussi chamboulé dans les Jeux de Joan et Annie Pastor, où « l’insupportable milice rexiste » en prend pour son grade. La thématique 1943 sur pages jaunies se complète avec un Kid Paddle et son père en as de l’aviation durant la guerre, l’appel de De Gaulle aux résistants en messages codés improbables dans L’édito des Fabrice et un test pour savoir si l’on est un véritable fan des Amis de Spirou, mêlant questions pointues sur la personnalité des auteurs, questions hautement morales dans la tradition ADS et loufoqueries.
Fin du Lucky Luke Un cow-boy sous pression, dans lequel l’humour référentiel omniprésent finit par construire un commentaire en basse continue à l’histoire elle-même, sur le thème de la lutte des classes, avec une première fin attendue mais nécessaire des Dalton voulant piller la caisse de grève et tombent sur une caisse remplie du Kapital de Marx, une deuxième en apothéose de jeux de mots sur les noms des Dalton et de Lucky Luke, et une ultime qui joue sur la fin emblématique de la série, le cow-boy dans le soleil couchant. Achdé, Jul et Mel Acryl’Ink ont réussi une très bonne cuvée, en équilibre entre l’aventure traditionnelle et le regard actualisé sur celle-ci. Amusante coïncidence, la planche de La leçon de BD est un clin d’œil très futé à Lucky Luke. Par contre, le commentaire de Laurel passe à côté de ce qui fait l’intérêt de cette planche comme de ses vraies faiblesses.
Suite de L’île de Minuit, après une longue mise en place de l’ambiance inquiétante, la menace se concrétise enfin avec la disparition d’une des protagonistes, tout en gardant le mystère sur ce qu’elle est vraiment, fantastique ou humaine. De grandes cases panoramiques rouge et or de Stéphane Perger illustrent les razzias qu’ont repris les Aryanas pour se procurer des esclaves, avec la permission de Tanis, victime de l’illusion de l’amour, et de l’hubris de son ami devenu dieu. Le couple de scénaristes Denis Bajram et Valérie Mangin est d’ailleurs l’invité de Bienvenue dans mon atelier, parlant de la forte marque qu’ont imprimé sur eux (et pas qu’eux, sur des générations de lecteurs de Spirou) des séries comme Papyrus et Yoko Tsuno, par leur mélange de rigueur documentaire et de fantastique et leurs univers inédits à l'époque, et dont il faudra bien un jour songer à mettre en avant l'importance historique. Ils soulignent aussi l’importance pour eux des sagas comme l’exploration de l’espace, Conan (le barbare, pas le détective, quoique lui aussi s’inscrive dans la tradition du roman-fleuve) ou Goldorak, que Bajram a d’ailleurs repris pour un album avec une bande de copains.
Dans les gags et strips, Jilème et Sophie David consacrent ceux de Brad Rock à une voisine échappée d’un western qui canarde au gros sel tout ce qui ose s’approcher de sa propriété, Dav et Cyril Trichet mettent en scène dans Pernille un émule de Godzilla, Romain Pujol et Zimra une nouvelle version du requin du bocal d'Emmanuelle Eeckhout dans Psychotine (et passent en revue les animaux fantastiques faisant semble-t-il rêver les enfants d’aujourd’hui, de la licorne au singe devinant l’avenir), et Midam, Benz, Adam et Angèle des « gants au métomol » dans Game over. Dans les mers, après les demandes au père Noël, c’est au psy du bord que Paul Martin et Manu Boisteau font demander de l’aide par les passagers et membres d’équipage angoissés de Titan Inc., alors que Tom prolonge les résolutions de nouvel an dans Fish n chips. Gary C. Neel de Ced et Gorobei continue d’affirmer sa personnalité, avec la profonde assertion que « la charcuterie résout tous les problèmes » tandis que Tash et Trash de Dino renouent avec l’absurde philosophique et que Berth dans Des gens et inversement et le Bon d’abonnement de Cromheecke et Thiriet font des gags très drôles, tendance cynique absurde. Enfin, ce numéro se conclut sur un excellent Dad flashbacks de Nob, qui annonce l’arrivée de la dernière des filles, Bébérénice, où Panda prononce le « théorème de base que l’amour, ça ne se divise pas, ça se multiplie», et qui induit une réflexion sur le radical changement d’image des clowns dans notre société, sur lequel il y aurait long à dire.