Re: Cette semaine dans le journal de Spirou j'ai aimé...
Posté : dim. 9 juin 2024 23:43
Numéro 4494 du 29/05/2024
https://www.spirou.com/actualites/somma ... -redaction
Les Fabrice ne sont toujours pas réapparus dans L’Édito, où ils sont recherchés sans enthousiasme, et même pas vraiment formellement (“Récompense au premier qui ne les retrouve pas”), et ont aussi disparu des marges des pages, de même que La malédiction de la page 13, de Sti. Par contre, Gaston est de retour, et en couverture, pour un dessin qui, étrangement, n’est pas un gag mais semble une image extraite d’une aventure. Et c’est bien le cas: une aventure de Gaston, une histoire complète, en 6 pages, numérotées de 39 à 44, soit la suite des gags en une planche qui formaient une trame, mais publiée en un bloc, qui pourrait presque se lire indépendamment, nonobstant l’ensemble de la rédaction de Spirou complètement saoule, une situation qui après tout pourrait ne pas susciter de la part du lecteur plus que le léger haussement de sourcil dont la gratifie Gaston qui vient annoncer sa démission. Il s’agit d’un polar, Gaston devant récupérer des films d’imprimerie de Franquin un soir dans un port, dans une ambiance qui pourrait rappeler Les Cargos du crépuscule (toutes proportions gardées). Delaf s’est enfin approprié le personnage, et cette histoire, totalement inédite pour Gaston, l’a obligé à créer de nouveaux décors et de nouvelles positions de personnages, sans plus faire de copier/coller. C’est une réussite, la seule de cette reprise (en dehors de la virtuosité technologique du mimétisme du dessin), puisse l’auteur poursuivre dans cette voie s’il devait continuer à dessiner Gaston: pas des gags affadis et momifiés, mais les aventures comiques d’un garçon de bureau gaffeur mais inventif, dont les inventions sont utilisées dans un nouveau contexte, avec humour et imagination.
Et cela rapproche Gaston de l’autre héros de polar de ce numéro, le lieutenant Bertillon, aussi maladroit et peu adapté aux exigences d’efficacité immédiate de la société. Mais là où le dessin de Delaf, strictement efficace et dans le rang, trahit l’esprit du personnage, celui de Cyrille Pomès, avec ses déformations de perspectives, de corps, ses cadrages décalés, son trait superficiellement grossier, transcrit parfaitement l’esprit du sien.
Avec les deux séries jeunesse Le métier le plus dangereux du monde et Les Cœurs de ferraille, aux sujets et traitement originaux et bien mis en œuvre, cela fait trois et demi (en comptant le Gaston, semi (à suivre), et dont seule cette dernière partie, semi histoire complète, est bonne) bonnes séries (à suivre) sur quatre (et demi) dans ce numéro. Le Spirou et Fantasio de Elric, Lemoine et Baril souffre lui du même défaut que l’ensemble du Gaston de Delaf, trop timoré, trop dans les clous pour s’émanciper et atteindre une personnalité, ce qui se traduit par un humour à répétition trop répétitif (Fantasio baragouinant l’italien en pays hispanophone, les disputes entre Fantasio et Seccotine) et une peur d’être peu clair, d’où un manque d’ellipses narratives et graphiques (13 cases pour la capture de Fantasio et Seccotine par les guérilleros) qui font trainer des scènes en longueur. Les seules originalités sont d’une part l’absence de Spirou, qui n’a jusqu’ici été présent (assez passivement, de plus) que sur 5 planches et demi sur 38 (je compte la demi planche introductive pour le journal). La suite nous dira si cette absence aura été vraiment voulue et maitrisée et aura eu une valeur narrative. D’autre part, l’aspect frontalement politique, avec Fidel Castro et Che Guevara jusque ici plus présents et actifs que Spirou, John Kennedy en second rôle, et les dialogues entre Fantasio et Seccotine, qui rien que dans ce chapitre incluent “reporter bourgeois, soviétique en herbe, réactionnaire obtus et ingérence des États-Unis”, approche trop en porte-à-faux par rapport aux simplismes du scénario (facilité avec laquelle Fantasio et Seccotine rencontrent les opposants et les guérilleros, comme si cela n’était plus nécessaire d’être retravaillé après Le dictateur et le champignon, Tintin et les Picaros et Kodo le tyran), et à l’humour enfantin des interventions du marsupilami et du G.A.G. Mais Gaston lui-même, sous prétexte qu’il vit une courte aventure, dit devoir dorénavant se trouver un nom de super-héros (postulerat-il dans la Doom Patrol?), signe irréfutable que les héros traditionnels ont du mal à dépasser leur crise d’identité.
Dans les gags en une planche, on peut clairement distinguer cette semaine ceux qui sont basés sur la caractérisation des personnages et leurs interactions, comme Elliot au collège et Dad, et ceux dont l’humour est d’abord graphique, incluant un dessin plus caricatural et outré, une primauté donnée à la mise en page, au traitement graphique (les trames chez Dab’s et Gom dans Crash Tex, les dialogues, la voix-off, les commentaires et leur colorisation chez Tebo dans La Méthode Raowl). Ce n’est bien sûr pas complètement univoque, ainsi, dans Elliot au collège, les couleurs de Malo (successeur de Anna Maria Riccobono, ou pseudonyme de celle-ci? Il en reprend quoi qu’il en soit les codes exacts) ont une grande importance narrative, typant les personnages et les ambiances. Et Game Over a beau être une série muette au traitement classique , les auteurs Midam, Adam et Patelin, rajoutent un gag purement graphique en conclusion, dans la façon dont ils inscrivent Game Over en fin de gag, la ponctuant à la manière des signatures de Franquin pour Gaston. Le “bon p’tit truc” de La Leçon de BD par Marko est d’ailleurs cette fois consacrée aux structures de mise en page et à la composition des cases, plus qu’au dessin lui-même.
Dans les rubriques, la publicité pour La Baie des cochons, l’album de Spirou et Fantasio classique, met en avant son aspect politique, qualifié de “rapport de Spirou sur Cuba” et de “propagande yankee”. Mais pourquoi pas l'écrire yanqui, en hommage à Jijé, puisqu’il revendique aussi totalement son aspect nostalgique, avec le titre écrit en vertical sur le dos, comme dans les EO de Franquin et Fournier? L’autre publicité est pour un package de livres considérés comme de simples produits industriels, deux adaptations en roman et livre dont tu es l’espion-ne, et une en anime comics, de la dernière saison d’un dessin animé français ayant un succès international, Totally Spies!, visiblement un mélange à la mode (mode qui n’en finit pas, puisque le DA a été créé il y a plus de 20 ans), de magical girls et de super-héroïnes. Révélateur de cette industrialisation est qu’aucun de ces livres ne porte de nom d’auteur, les anime comics étant d’un certain Banijay, qui n’a pas son nom sur la couverture. Heureusement, si Bercovici, invité de Bienvenue dans mon atelier, a aussi une production qui peut être quantitativement qualifiée d’industrielle, celle-ci a, elle, une vraie personnalité, car s’il produit beaucoup, c’est parce qu’il dessine “très très vite”, non par l’utilisation d’une technique anonyme, mais parce qu’il improvise beaucoup et “ne joue pas [sa] vie sur chaque trait”. Son admiration pour Georges Beuville et Giorgio Cavazzano témoigne de son intégrité de dessinateur. Les Jeux sont une fourmillante et épique bataille de Christophe Bataillon, entre des oursons mignons qui se défendent contre des monstres envahisseurs, avec Spiderman et Batman semblant hésiter entre les deux camps. Enfin , En direct du futur a un titre mensonger, puisqu’il parle de la série en cours Dad flashbacks, où Nob “explore le passé de Dad et de ses filles”, car, dit-il, “il y a beaucoup de choses que l’on ignore encore sur le passé de Dad, ça me semblait une bonne piste à creuser.” Si les histoires en elles-mêmes sont souvent bonnes, c’est tout de même une fausse bonne idée, car chaque personnage a exactement le même caractère et agit et réagit exactement de la même façon il y a 10 et 15 ans qu’actuellement. Ceci, et la situation exactement opposée du Petit Spirou qui lui n’a aucun lien autre que le nom et le costume avec le Spirou adulte que l’on connait, étaye ma conviction que, dans la plupart des cas, imaginer des origines à un personnage de fiction n’a que peu d’intérêt, en dehors du commercial.
https://www.spirou.com/actualites/somma ... -redaction
Les Fabrice ne sont toujours pas réapparus dans L’Édito, où ils sont recherchés sans enthousiasme, et même pas vraiment formellement (“Récompense au premier qui ne les retrouve pas”), et ont aussi disparu des marges des pages, de même que La malédiction de la page 13, de Sti. Par contre, Gaston est de retour, et en couverture, pour un dessin qui, étrangement, n’est pas un gag mais semble une image extraite d’une aventure. Et c’est bien le cas: une aventure de Gaston, une histoire complète, en 6 pages, numérotées de 39 à 44, soit la suite des gags en une planche qui formaient une trame, mais publiée en un bloc, qui pourrait presque se lire indépendamment, nonobstant l’ensemble de la rédaction de Spirou complètement saoule, une situation qui après tout pourrait ne pas susciter de la part du lecteur plus que le léger haussement de sourcil dont la gratifie Gaston qui vient annoncer sa démission. Il s’agit d’un polar, Gaston devant récupérer des films d’imprimerie de Franquin un soir dans un port, dans une ambiance qui pourrait rappeler Les Cargos du crépuscule (toutes proportions gardées). Delaf s’est enfin approprié le personnage, et cette histoire, totalement inédite pour Gaston, l’a obligé à créer de nouveaux décors et de nouvelles positions de personnages, sans plus faire de copier/coller. C’est une réussite, la seule de cette reprise (en dehors de la virtuosité technologique du mimétisme du dessin), puisse l’auteur poursuivre dans cette voie s’il devait continuer à dessiner Gaston: pas des gags affadis et momifiés, mais les aventures comiques d’un garçon de bureau gaffeur mais inventif, dont les inventions sont utilisées dans un nouveau contexte, avec humour et imagination.
Et cela rapproche Gaston de l’autre héros de polar de ce numéro, le lieutenant Bertillon, aussi maladroit et peu adapté aux exigences d’efficacité immédiate de la société. Mais là où le dessin de Delaf, strictement efficace et dans le rang, trahit l’esprit du personnage, celui de Cyrille Pomès, avec ses déformations de perspectives, de corps, ses cadrages décalés, son trait superficiellement grossier, transcrit parfaitement l’esprit du sien.
Avec les deux séries jeunesse Le métier le plus dangereux du monde et Les Cœurs de ferraille, aux sujets et traitement originaux et bien mis en œuvre, cela fait trois et demi (en comptant le Gaston, semi (à suivre), et dont seule cette dernière partie, semi histoire complète, est bonne) bonnes séries (à suivre) sur quatre (et demi) dans ce numéro. Le Spirou et Fantasio de Elric, Lemoine et Baril souffre lui du même défaut que l’ensemble du Gaston de Delaf, trop timoré, trop dans les clous pour s’émanciper et atteindre une personnalité, ce qui se traduit par un humour à répétition trop répétitif (Fantasio baragouinant l’italien en pays hispanophone, les disputes entre Fantasio et Seccotine) et une peur d’être peu clair, d’où un manque d’ellipses narratives et graphiques (13 cases pour la capture de Fantasio et Seccotine par les guérilleros) qui font trainer des scènes en longueur. Les seules originalités sont d’une part l’absence de Spirou, qui n’a jusqu’ici été présent (assez passivement, de plus) que sur 5 planches et demi sur 38 (je compte la demi planche introductive pour le journal). La suite nous dira si cette absence aura été vraiment voulue et maitrisée et aura eu une valeur narrative. D’autre part, l’aspect frontalement politique, avec Fidel Castro et Che Guevara jusque ici plus présents et actifs que Spirou, John Kennedy en second rôle, et les dialogues entre Fantasio et Seccotine, qui rien que dans ce chapitre incluent “reporter bourgeois, soviétique en herbe, réactionnaire obtus et ingérence des États-Unis”, approche trop en porte-à-faux par rapport aux simplismes du scénario (facilité avec laquelle Fantasio et Seccotine rencontrent les opposants et les guérilleros, comme si cela n’était plus nécessaire d’être retravaillé après Le dictateur et le champignon, Tintin et les Picaros et Kodo le tyran), et à l’humour enfantin des interventions du marsupilami et du G.A.G. Mais Gaston lui-même, sous prétexte qu’il vit une courte aventure, dit devoir dorénavant se trouver un nom de super-héros (postulerat-il dans la Doom Patrol?), signe irréfutable que les héros traditionnels ont du mal à dépasser leur crise d’identité.
Dans les gags en une planche, on peut clairement distinguer cette semaine ceux qui sont basés sur la caractérisation des personnages et leurs interactions, comme Elliot au collège et Dad, et ceux dont l’humour est d’abord graphique, incluant un dessin plus caricatural et outré, une primauté donnée à la mise en page, au traitement graphique (les trames chez Dab’s et Gom dans Crash Tex, les dialogues, la voix-off, les commentaires et leur colorisation chez Tebo dans La Méthode Raowl). Ce n’est bien sûr pas complètement univoque, ainsi, dans Elliot au collège, les couleurs de Malo (successeur de Anna Maria Riccobono, ou pseudonyme de celle-ci? Il en reprend quoi qu’il en soit les codes exacts) ont une grande importance narrative, typant les personnages et les ambiances. Et Game Over a beau être une série muette au traitement classique , les auteurs Midam, Adam et Patelin, rajoutent un gag purement graphique en conclusion, dans la façon dont ils inscrivent Game Over en fin de gag, la ponctuant à la manière des signatures de Franquin pour Gaston. Le “bon p’tit truc” de La Leçon de BD par Marko est d’ailleurs cette fois consacrée aux structures de mise en page et à la composition des cases, plus qu’au dessin lui-même.
Dans les rubriques, la publicité pour La Baie des cochons, l’album de Spirou et Fantasio classique, met en avant son aspect politique, qualifié de “rapport de Spirou sur Cuba” et de “propagande yankee”. Mais pourquoi pas l'écrire yanqui, en hommage à Jijé, puisqu’il revendique aussi totalement son aspect nostalgique, avec le titre écrit en vertical sur le dos, comme dans les EO de Franquin et Fournier? L’autre publicité est pour un package de livres considérés comme de simples produits industriels, deux adaptations en roman et livre dont tu es l’espion-ne, et une en anime comics, de la dernière saison d’un dessin animé français ayant un succès international, Totally Spies!, visiblement un mélange à la mode (mode qui n’en finit pas, puisque le DA a été créé il y a plus de 20 ans), de magical girls et de super-héroïnes. Révélateur de cette industrialisation est qu’aucun de ces livres ne porte de nom d’auteur, les anime comics étant d’un certain Banijay, qui n’a pas son nom sur la couverture. Heureusement, si Bercovici, invité de Bienvenue dans mon atelier, a aussi une production qui peut être quantitativement qualifiée d’industrielle, celle-ci a, elle, une vraie personnalité, car s’il produit beaucoup, c’est parce qu’il dessine “très très vite”, non par l’utilisation d’une technique anonyme, mais parce qu’il improvise beaucoup et “ne joue pas [sa] vie sur chaque trait”. Son admiration pour Georges Beuville et Giorgio Cavazzano témoigne de son intégrité de dessinateur. Les Jeux sont une fourmillante et épique bataille de Christophe Bataillon, entre des oursons mignons qui se défendent contre des monstres envahisseurs, avec Spiderman et Batman semblant hésiter entre les deux camps. Enfin , En direct du futur a un titre mensonger, puisqu’il parle de la série en cours Dad flashbacks, où Nob “explore le passé de Dad et de ses filles”, car, dit-il, “il y a beaucoup de choses que l’on ignore encore sur le passé de Dad, ça me semblait une bonne piste à creuser.” Si les histoires en elles-mêmes sont souvent bonnes, c’est tout de même une fausse bonne idée, car chaque personnage a exactement le même caractère et agit et réagit exactement de la même façon il y a 10 et 15 ans qu’actuellement. Ceci, et la situation exactement opposée du Petit Spirou qui lui n’a aucun lien autre que le nom et le costume avec le Spirou adulte que l’on connait, étaye ma conviction que, dans la plupart des cas, imaginer des origines à un personnage de fiction n’a que peu d’intérêt, en dehors du commercial.