Alec SEVERIN

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Pigling-Bland
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Alec SEVERIN

Message par Pigling-Bland »

C'est une interview qui n'est plus toute récente puisqu'elle date de 2002, mais elle reste malgré tout très intéressante et tout à fait actuelle. Elle vient du site Auracan et l'interview est de Nicolas Anspach et Marc Carlot. Le mérite revient donc uniquement à eux.

Alec SEVERIN
Entretien


Vous semblez avoir une véritable passion pour les arts graphiques. A vous entendre, même un dessin décalqué est une création?

Une critique ne peut être réaliste que d'un point de vue éthique. Et encore, chacun a sa propre éthique, et nous pouvons être heurté par une manière de raconter ou des faits d'une histoire qui nous choquent profondément.
Au point de vue graphique, je trouve malvenu de critiquer un dessin. Malheureusement, les journalistes sont souvent durs sur ce point envers certains dessinateurs.
Claude Moliterni avait publié en 1967 un livre intéressant, appelé : "Bande Dessinée, figuration narrative". Il y analysait l'ensemble de la bande dessinée, d'avant guerre et contemporaine, pour en comprendre les sources, les bases et les codes. Ce livre est un réel travail de critique et je le conseille aux jeunes auteurs, qui proviennent souvent du dessin animé, car ceux-ci reproduisent des méthodes graphiques, calquée sur le travail d'un autre auteur, sans en connaître la source. Or, ces sources s'inspiraient des peintres et des illustrateurs.

Vous ne croyez pas que certaines personnes innovent encore, remettent en question la bande dessinée ?


Certainement. Je songe à Emmanuel Guibert, le très grand dessinateur de la Guerre d'Alan. Il a une démarche artistique intéressante et puissante. Il n'hésite pas à expérimenter, à se remettre en question. Il nous réservera bien des surprises ces prochaines années.
Mais malheureusement il a une approche de la bande dessinée totalement différente, sans qu'il le veuille sans doute, trop élitiste. Un de mes amis, Hugues Dayez, a écrit un livre parlant de l'école à laquelle on apparente Sfar, Trondheim, etc. Certains auteurs semblent y nier les productions de ces trente dernières années. Pourtant, ces auteurs ne seraient pas venus à la bande dessinée, si ce qui a été publié à cette époque n'avait pas existé. Ils proviennent certes de la bande dessinée ancienne, mais aussi de celle des années '80.

Ils se réclament "indépendants"?

Il y a un malentendu. On parle souvent de bande dessinée indépendante. Que signifie ce terme ? Une indépendance d'édition ou de style graphique ? Avez-vous remarqué avec quelle rapidité les indépendants sautent dans les wagons des grands éditeurs ? On ne peut pas dire que ceux qui travaillent chez Dargaud, Dupuis ou Delcourt ont une indépendance d'édition.
Une indépendance de graphisme, donc ? Dans ce cas, tous les dessinateurs sont indépendants. Le dessin de l'un n'est jamais totalement le même que l'autre, même s'il est apparenté !
Finalement, Michel Schetter est un véritable indépendant. Il s'auto-publie et refuse de publier chez les autres. Idem pour Tabary et Jo-El Azara ! Bref, les véritables indépendants sont ceux qui se sont fait virer des grosses maisons d'édition ...
Une fausse publicité

On en revient à la notion de la rentabilité qu'un dessinateur peut apporter à sa maison d'édition?

Pour ma part, je n'ai jamais marché. Je suis parti de moi-même ! (Rires)
A la fin des années '80, les éditions Dupuis avaient comme politique de remercier les dessinateurs qui ne vendaient pas au-dessus des quinze milles exemplaires. Je connaissais Jacques Devos (ndlr : le créateur du Génial Olivier). La manière dont il a été traité est inimaginable, surtout qu'il était à deux ans de la retraite. Même s'il avait une certaine sclérose qui ne lui permettait plus d'avoir un graphisme percutant, il avait encore beaucoup d'idées. Il aurait pu devenir un excellent scénariste pour d'autres. Ses manières elliptiques de concevoir des séquences étaient tout à fait extraordinaires. Mais il a été décrié, notamment dans les hauts de page de Yann et Conrad? Ce n'était vraiment pas le moment !

Mais c'était de la dérision ?

Peut-être ! Mais ils ne s'apercevaient pas du mal qu'ils laissaient derrière eux. Certains auteurs ont pris cela au premier degré?

Tous les éditeurs se débarrassent-ils des auteurs non rentables ?

Je ne pense pas. Guy Delcourt, par exemple, n'est pas un marchand de tapis. Il croit vraiment en son métier, et prend beaucoup de risque ?

En publiant Lisette, notamment ?


Ce n'était pas vraiment un risque. Puisque l'histoire de cette pauvre petite fille riche a connu bien des déboires éditoriaux. Guy a racheté les films à Bédéscope pour une croûte de pain.
Guy Delcourt prend des risques en publiant certains auteurs. Est-ce que le travail de Claire Wendling était susceptible d'être rentabilisé ? Je ne crois pas ! Elle avait, à ses débuts, un style qui lui était propre : un graphisme féminin très touchant? Mais tellement différent de la production du début des années '90.
Les grosses maisons d'éditions, comme par exemple le Lombard, ont eu tendance à associer la bande dessinée à un produit. Lisez le Duel Tintin Spirou, de Hugues Dayez, vous verrez que Raymond Leblanc y dit : "Mais vous savez, la bande dessinée, c'est comme du savon ! Il faut que cela se vende?". C'est scandaleux qu'un éditeur associe les ?uvres d'un auteur à un produit. Et si ce produit ne se vend pas, on jette l'auteur comme un malpropre, même s'il travaillait depuis trente ans dans cette maison. Heureusement, certains sont plus honnêtes.

Pour en revenir à votre production, vous continuez à développer l'univers d'Harry?

Je devais réaliser une suite à La Machine à Explorer le Temps, le célèbre roman de Wells. Les droits devaient tomber dans le domaine public. Malheureusement, cette année là, une loi a été votée, rallongeant de vingt ans le moment où l'?uvre d'un auteur décédé devient libre de droit. A vrai dire, il y a eu tellement d'auteur qui se sont inspirés de Wells que je me suis dit : "Pourquoi pas moi ?".

Pourquoi continuer aujourd'hui à développer cet univers ?


Lorsque le premier album fut publié, j'ai pris la décision de ne jamais arrêter de développer cet univers, avec les quatre personnages principaux (Harry, Clémentine, Auguste et le chien). Vous savez mes histoires sont écrites au premier degré. Je suis donc très attaché à mes personnages? Mon c?ur est dans cette série !
Lors de mes problèmes avec les éditions Lefrancq, j'étais décidé à ne plus réaliser de BD tant que durerait le procès. Je ne voulais pas tomber dans le piège d'avoir deux séries. A cette époque, je travaillais la journée dans le milieu publicitaire. Le soir, je réalisais des illustrations pour A Propos d'Harry, afin de monter une exposition itinérante. Celles-ci ont été publiées dans un livre, portant le même nom.

Certaines illustrations de ce livre ont été signées sous d'autres noms?


C'était une manière de changer facilement de style. Enfin, il est resté proche du mien, tout en étant différent. Mais cela m'apaisait de travailler sous un autre nom. Je me disais, en regardant les planches : "Ce n'est pas du Alec Severin, ce n'est pas grave si le dessin est un peu raté" (Rires)
Depuis lors, mon dessin est légèrement moins réaliste qu'auparavant ! Mon style est plus naïf et sclérosé. Mais c'est tout à fait volontaire ! C'est une sorte d'auto dérision sur mes histoires, réalisée au premier degré.

Après La Conquête, À Propos de Harry, vous publiez La force de l'Eclair, le premier fascicule des Nouvelles Aventures de Harry.

Je n'ai que quelques soirées à consacrer à la bande dessinée. Fatalement, mon rythme de travail s'en ressent. Il m'arrive de terminer une planche deux mois après la précédente. Mais heureusement, je suis comme les lecteurs : j'aimerais découvrir la suite des aventures de Harry plus régulièrement. J'ai donc opté pour la prépublication de ces aventures dans des fascicules de seize planches.
Cette idée me plait énormément. Les dessinateurs de ma génération nourrissent bien souvent l'envie de recréer Héroïc Album? Pour l'instant, je suis le seul à dessiner sur ce support. Mais si d'autres auteurs viennent me rejoindre, le temps d'une planche, on pourrait faire un almanach !

La qualité d'impression et du papier de La Force de l'Eclair est exemplaire? Du véritable travail d'orfèvre !

L'impression et le papier coûtent la moitié du prix du vente du livre. Ce "couché carton" était fréquemment utilisé à la fin du siècle dernier pour réaliser les présentoirs en parfumerie. Il est également complexe a imprimer, car il demande cinq jours de séchage avant de pouvoir y passer un vernis?

Vous supervisez l'impression ?

Absolument ! Mon rêve serait même de pouvoir imprimer mes albums moi-même (Rires). Par contre, je relie chaque exemplaire à la main, au fil. Si j'écoule les mille exemplaires des fascicules de la Force de l'Eclair, il n'est pas impossible que j'imprime cette histoire dans un album. Dans le cas contraire, je relierai les trois cahiers dans une même reliure !

Savez-vous déjà où vous mène Harry ?

J'ai quinze scénarios d'avance ! ? Soit une bonne centaine d'année de travail si je continue à travailler au rythme actuel (Rires). Si un éditeur me laissait une liberté totale, il est certain que j'avancerais beaucoup plus vite sur mes histoires.
Je travaille en publicité, et réalise des peintures pour les personnes qui me le demandent.Le soir, je réalise mes bandes dessinées, car j'aime beaucoup ce métier. Mais il n'est malheureusement pas viable dans mon cas, pour les raisons que j'ai déjà évoquées...

Vous rentrez quand même dans vos frais en vous auto éditant ?


Heureusement, d'une manière convenable. Je ne publie un album que lorsque j'ai récupéré l'argent investi dans le précédent. Ma mise de départ était de 5.000 ?. Il faut également savoir que je ne fais quasiment pas de bénéfice sur ma production. Le libraire gagne mieux sa vie que moi sur les albums ! Si je gagne un euro et demi par album, c'est beaucoup !
Cela m'attriste parfois de ne pas écouler facilement les mille exemplaires d'un album. Mais si mon lectorat tombait à trois cent personnes, je continuerais pour eux. ? Pour leur faire plaisir !

Lorsque l'on parle avec vous, on sent que vous avez un profond respect pour votre métier?

C'est vrai ! Mais je suis parfois attristé par certains aspects véhiculés par des bandes dessinées, souvent publiées à des milliers d'exemplaires. Je désapprouve la permission de certains auteurs lorsqu'ils abordent des thèmes violents ou de sexualité. Ce n'est pas en disant cela que je vais changer les choses, mais je ne ferai jamais de compromis à ce sujet. Je suis toujours admiratif du travail graphique des autres, mais pas de l'éthique développée par certains?

Propos recueillis par Nicolas Anspach et Marc Carlot en Septembre 2002
© Auracan.com 2002
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Désolé madame, je ne peins plus que les natures mortes ! Qu'on vous assassine, et c'est chose faite !
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Zig Homard
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citation : A.D.S. en avant !
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Re: Alec SEVERIN

Message par Zig Homard »

Merveilleux auteur qu'Alec Séverin, et comme Artiste, que j'admire, et comme homme... Quelqu'un dans ce milieu qui a une vraie éthique, comme aussi Roger Leloup, et sans doute aussi quelques autres (rares, hélas !...)...
Et, pour mieux faire connaître son ?uvre, comme ce serait bien qu'en 2013, les 75 ans de Spirou soient l'occasion de publier un florilège (rarement le terme se sera(it) mieux appliqué...) de ses extraordinaires pastiches de Spirou et Fantasio "à la Jijé" !...
Une pétition chez DUPUIS ?...
En tout cas, merci, Pigling-Bland, pour cette entrevue...
Λ - (Poly-censuré par l'un ou l'autre admin !!) " _ _ . . . ! " - Dissident, il va sans dire...
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