- Robert ! Viens voir, Robert !
- Marie-Rose, la ferme !
Allez, jamais deux sans trois comme on dit ! C’est donc parti pour la troisième (et heureusement dernière) itération des aventures de Spirou et Fantasio made in Nic et Cauvin !
Et on peut dire que ça démarre très très mal, car l’album s’ouvre sur le duo Marie-Rose et Robert qui m’avait tellement traumatisé en lisant la boîte noire ! Et c’est encore une fois les mêmes griefs que j’ai vis-à-vis de cet album par rapport à ses deux prédécesseurs : le manque flagrant d’imagination et la récupération des mêmes ficelles sur-usées. Les voisins relous sont cette fois gardés à un minimum (et le minimum c’est déjà trop pour moi), mais ils restent bien relous ! Les méchants retrouvent la trace de nos héros grâce à la même astuce que pour la boîte noire (encore !!). Les mêmes courses-poursuites interminables et sans intérêts ! Une conclusion qui ne résout rien (mais au moins cette fois la conclusion ne passe pas par la simulation de la mort des héros). Couplés en outre aux désastres de l’aspison, qui donne un album TRES violent (mais ce genre de violence gratuite très désagréable car elle n’a pas vraiment d’enjeux et ne dit rien), ça donne une histoire littéralement épuisante, et qui lorsqu’on ne prend aucun plaisir et la période la plus vaine et la plus lassante de Spirou et Fantasio.
C’est donc sans surprise un TRES mauvais album de Spirou et Fantasio.
Ceci étant dit… J’ai beaucoup cassé de sucre sur Nic et Cauvin (à raison hein, je confirme que ce n’était vraiment pas bon !), et donc pour finir (ouiiiiii !) cette période noire de Spirou et Fantasio, j’aimerais insister sur les signes d’amélioration ou tout du moins les quelques choses intéressantes qui peuvent sortir de cet album. Un peu de positif de temps en temps ça ne fait pas de mal !
Et déjà, si scénaristiquement ça reste mauvais, par petites touches Cauvin semble réaliser que certaines choses de fonctionnent pas, et casse ou modifie certaines mécaniques. Ainsi, après avoir joué avec mes nerfs en démarrant l’album sur Marie-Rose et Robert, Cauvin fait rapidement dire au mari ce « la ferme ! » tellement salvateur pour ma santé mentale. Suite à l’incident de la télévision, où celui-ci agit avec une hystérie assez symptomatique du comportement de tous les personnages dans l’album, Robert en fin d’histoire fait montre de beaucoup de lassitude lorsque Marie-Rose cherche encore à la convaincre d’un phénomène extraordinaire (« mais oui ! mais oui ! »). C’est donc officiel, Robert est le personnage pour lequel j’ai eu le plus d’empathie dans cette histoire ! On a le même état d’esprit par rapport à l’action !
Ensuite, l’autre élément intéressant que j’ai relevé c’est la tentative de prise d’indépendance d’Alexander et Kalloway. Une fois pour toute ces personnages ne sont pas suffisamment riches pour en faire des ennemis (et encore moins des ennemis récurrents) de Spirou et Fantasio, mais au moins leurs buts sont plus clairs (bien qu’Alexander change d’avis comme de chemise vis-à-vis de la menace que représente son employeur), et du coup ça rend leurs pérégrinations légèrement plus faciles à suivre que dans la boîte noire. On a presque l’impression de voir des vrais personnages !
Concernant l’intrigue, si ça reste bête à manger du foin (la faute à un traitement poussif et vain), l’idée et les questionnements de l’importance du son et des jeux sur le silence est intéressante. Encore une fois, le traitement l’est beaucoup moins : notamment parce que tout ce que font Spirou et Fantasio avec l’aspison est extrêmement dangereux, et ça donne un album violent (encore une fois, vraiment très violent, surtout quand on prend en compte la fin originelle) mais surtout mesquin car nous sommes censé nous amuser des catastrophes que Spirou et Fantasio engendre (j’ai donc ma propre théorie sur les gens qui aiment l’humour de cet album, mais je la garde pour moi, car ça ne serait pas très courtois). Mais encore une fois, les questionnements du rapport au son, notamment comme outil de signal et d’orientation dans l’espace, sont pertinents. Je sais que Sophie avait déjà proposé une intrigue assez similaire (pour un résultat tout aussi médiocre apparemment), mais remarquons au moins que contrairement à Sophie, l’album n’oublie pas l’aspison à la moitié de l’histoire et essaye de trouver de nouvelles situations pour la machine. C’est un bon point.
En outre, faute avouée à moitié pardonnée, j’apprécie que l’album soit conscient de cette connivence d’intrigue et face référence à la BD de Sophie, ce qui vu le niveau général de la narration, est plutôt intelligent, voire élégant ! Quant à la remarque d’Alexander sur les BDs (« il faut vraiment être zinzin pour lire des trucs comme ça ! »), je prends ça comme un bel aveu de faiblesse de Cauvin sur la qualité de ses productions Spirou !^^
Je pense que la fin originelle de l’album (la coque en béton de l’aspison se brise et l’appareil tue des centaines de baleine en plein mer), amenant Spirou à frapper Fantasio, était plus pertinente dans cette atmosphère de violence gratuite mise en avant par l’album. (ça ne donne pas un propos clair, mais ça en dessine les contours je dirais, notamment encore une fois sur l’utilisation de la violence comme outil humoristique ou narratif chez les héros de BDs). J’ai par contre trouvé bien vu que la fin alternative voit Spirou, Fantasio, Alexander et Kalloway couler par inadvertance un baleinier. ça fait un clin d’œil à la fin originelle, tout en prenant le contre-pied de l’aspect anti-écologique de celle-ci. C’est encore une fois plutôt fin, et Cauvin ne nous a pas habitués à cette finesse jusque-là.
Mais bien entendu les vrais aspects positifs sont à chercher du côté de dessin. Je suis d’accord avec certains commentaires précédents pour dire que Nic propose un dessin vraiment sympa ici, avec des décors urbains très cohérents et « amples ». Ses personnages sont globalement bons graphiquement. Fantasio fait niais et Spirou agressif (le pire restant Spip), mais ça c’est dû à la narration. Le dessin reflète ça et c’est normal. J’ai beaucoup aimé les intérieurs chez Spirou et Fantasio, notamment ces fauteuils très années 80. Je n’ai aucun problème avec les voitures. La violence des chocs est bien mise en scène (le conducteur d’auto-école qui passe à travers le pare-brise m’a limite mis mal à l’aise). Globalement c’est beau, et je pense que si Nic avait continué sur la série (de préférence avec un autre scénariste !), on n’aurait pas trouvé autant à redire sur son dessin qui s’améliore vraiment entre les albums (et en ce sens, la comparaison avec Fournier (ou tout autre auteur) me paraît un peu vaine, car comparer 3 albums sur 3 ans et une dizaine sur plus de dix ans, ça n’a que peu de sens). La colorisation en version album est plutôt bien choisie (à ce propos, un petit mea culpa concernant ma critique de la ceinture du grand froid, où je trouvais la colorisation très criarde. C’est complètement le cas, dans la version présente dans l’intégrale de la période Nic et Cauvin. La version album était en fait très terne). Et puis, je suis d’accord avec Trichoco, Spirou est très bien avec son pull noir !
En conclusion, les faiseurs de silence n’est pas un album plaisant à lire. Il fait une apologie franchement dérangeante de la violence comme outil de narration sans vraiment de prise de recul, à cause de héros et méchants vraiment très bêtes. On sent quand-même poindre de la part de Cauvin une forme de prise de conscience de ses travers (sans vraiment que ça débouche sur du mieux !) et une plus grande assurance de Nic sur le dessin, devenu très plaisant. L’album est donc objectivement meilleur que la boîte noire, mais aussi plus personnel que la ceinture du grand froid. C’est pour ça que c’est pour moi « le meilleur » des Nic et Cauvin (et le meilleur, ça reste relatif !). J’hésite entre 1 et 2, pour le moment je vais monter à 2 pour montrer qu’on est au-dessus de la ceinture du grand froid (mais vraiment pas beaucoup au-dessus !).
ps: OUIIIIII, j'en ai fini avec les Nic et Cauvin!!! Victoire!!!!