Enchantée ! On m'appelle Seccotine... nous sommes confrères depuis peu, je viens d'être engagée au « moustique »
A plus d'un titre, la Corne de rhinocéros, aussi appelé Spirou et la Turbotraction, peut être considéré comme une œuvre de jeunesse pour Franquin : dessins pas encore tout à fait à maturité, scénario aux ficelles rouge vif... et pourtant cette histoire d'espionnage industrielle est bourrée de charme.
De charme même dans ses défauts, notamment au niveau de l'intrigue. L'histoire a malheureusement tendance à multiplier les raccourcis et les grosses ficelles : déjà, l'idée de Fantasio de cambrioler un grand magasin, même pour un reportage, est complètement stupide. Mais comme par hasard, ils retrouvent dans ce magasin Roulebille et les gangsters, ce qui il faut bien l'avouer, est tout de même bien pratique. Ajoutons à l'équation Seccotine, dont on ne saura jamais comment elle a su que Roulebille se cachait ici...
Si le tome commence avec une ficelle qui se rapproche plus de la corde à nœud si vous voulez mon avis, plus les pages passent, plus les coïncidences s'empilent. Entre Spirou et Fantasio qui ne se méfient pas deux secondes et parlent de leur projet toutes fenêtres ouvertes (bien entendu quand les gangsters sont juste à côté), toute la course poursuite à Bab-el-Bled qui est un gigantesque enchaînement de heureux hasards (alors comme ça, dès qu'ils perdent la trace de Spirou et Fantasio, les deux bandits tombent direct sur Martin ? Comme c'est pratique) ; où le fait que les bandits attendent bien sagement que Spirou et Fantasio arrivent de train à M'Saragba avant de retrouver la piste de Martin, l'intrigue est tout de même trop bien huilée.
A la liste des griefs, rajoutons la tribut Wakuku, sorte de gigantesque cliché de la tribu africaine telle que vue dans la BD franco-belge : allez, je passe l'éponge car ils ne sont pas anthropophages !
Et pourtant, malgré tous ces petits problèmes, ce tome est un régal. Déjà parce que même si les ficelles sont grosses, les poursuites entre nos héros et les gangsters dans le centre commercial puis Bab-el-Bled sont assez formidables : très drôles (j'adore la cachette de Spip dans le grand magasin!), et avec des décors qui servent très bien les retournements de situation (la topologie de Bab-el-Bled, sorte de labyrinthe de petites ruelles entremêlées, est très bien rendue). Ainsi, le lecteur ne s'ennuie pas jusqu'à l'arrivée à M'Saragba, où Franquin change radicalement son fusil d'épaule pour ne pas enliser son intrigue dans une course-poursuite incessante au risque de lasser le lecteur.
La réorientation de l'intrigue, bien que trop rapide (et encore une fois grâce à une astuce bien voyante : aaah ce flic qui va jusqu'en Afrique (soit en dehors de sa juridiction, mais chut) pour arrêter les malfrats qui lui avaient échappé!), est plutôt bien trouvée, et permet de justifier les pérégrinations de Spirou et Fantasio dans la brousse. Leur plan pour attraper des rhinos est complètement tordu, il est donc formidable à suivre. Quant à la résolution (encore une ficelle!^^), où Spirou retrouve par hasard les plans alors qu'il avait abandonné, je la vois comme un clin d'oeil final de Franquin envers les lecteurs pour toutes les ficelles, enfin les cordages, utilisés jusque là.
De plus, ce tome est donc très drôle, mon gag préféré restant le « tacle à l'éléphant », un formidable moment d'humour absurde. Néanmoins, j'apprécie aussi énormément le running gag de la lampe que Fantasio se traîne depuis son achat à Bab-el-Bled, de plus en plus cabossée ! Et je ne pouvais pas ne pas mentionner le gag des perruques, absolument génial. En effet, je ne sais pas si c'est volontaire, mais je trouve que le méchant « chef », très Franquinien dans son design, se retrouve à Bab-el-Bled avec une barde qui fait très... méchant de Tintin !
Mais la grande force de ce tome, ce qui fait qu'il est incontournable pour tout fan de Spirou qui se respecte, c'est bien entendu Seccotine, dont c'est non seulement la première apparition mais qui y tient en plus un des premiers rôles. Son arrivée dans l'intrigue, où elle menace Spirou et Fantasio d'un pistolet à eau, est absolument géniale. J'imagine bien à l'époque de la prépublication les gamins devoir attendre une semaine pour savoir qui était cette « fille » qui menaçait Spirou et Fantasio. Seccotine est vraiment un personnage formidable car en une période où les femmes n'ont qu'une place minime dans la BD franco-belge, elle en « impose », et sait en remontrer aux hommes. Définie comme la « perle des journalistes », elle sait se démener pour un scoop, et fidèle à son nom, elle s'accrochera à Spirou et Fantasio, au grand dam de ce dernier. Les engueulades entre Fantasio et Seccotine, digne des plus grande bagarres de gamins, sont formidables, notamment parce que Fantasio et ses propos machistes se font renvoyer dans les cordes. Ce tome est donc une bien belle manière de mettre en avant le personnage, afin d'en faire un personnage crucial dans l'univers Spirou.
Ainsi, ce tome est à l'image de Seccotine finalement, bourré de petits défauts, mais terriblement... attachant (et non, j'ai même pas honte de ma blague !
) : 4/5