- Houba !
- Houbi ?
Je continue à alterner les auteurs et les périodes entre mes critiques, et après avoir été plutôt gentil avec certains, je ne pouvais pas aborder un épisode de Franquin avec moins qu'un 5/5, si ?
J'ai donc contourné la difficulté pour cette fois-ci en me tournant vers un album « culte » : le Nid des Marsupilamis !... Ou telle était mon intention, sauf qu'un couac s'est glissé dans ce plan bien huilé : en effet, si j'avais lu le Nid des Marsupilamis (qui m'avait fait très forte impression) quand j'étais jeune, je n'ai jamais eu l'album, le tome 12. C'est en effet la sortie des intégrales (qui sont, il faut le signaler tout à fait remarquables!) qui m'a permis de créer ma collection... Je n'ai donc à aucun moment calculé (bien que je l'avais lu sous le format « tome 12 », c'est dire si cette seconde histoire m'a marqué) que ce tome contenait, en plus de l'histoire désirée, La Foire aux Gangsters, histoire courte et pas vraiment mémorable placée là « au hasard » (elle n'a pas été écrite la même année, n'a aucun rapport avec le Marsu...). Néanmoins, vu que ce tome 12 contient les deux histoires, c'est sur la somme des deux qu'il faut donner une note. Et comment dire : la seconde histoire n'est clairement pas à la hauteur de la première...
Mais commençons par le commencement, c'est à dire par ce très joli interlude qu'est « le Nid des Marsupilamis ». En 56, ça fait dix ans que Franquin a repris Spirou, l'a réinventé et a codifié son univers tel qu'on le connaît. La mécanique de la série est maintenant bien rodée. Mais avec cette histoire, il semble que Franquin ait voulu proposer une respiration entre deux aventures de Spirou et
Fantasio, en se penchant vers un des personnages les plus appréciés de l'ère Franquin (si ce n'est LE plus apprécié?) : le Marsupilami.
Mais attention, « respiration » ne veut pas dire qu'il faut considérer cette histoire comme « mineure » dans l'univers du groom. Depuis sa création, le Marsupilami est un mystère et une découverte constante (chaque tome lui apporte une nouvelle aptitude, souvent plus incroyable que la précédente), s'intéresser plus spécifiquement à la vie sauvage de l'animal est donc une belle initiative pour en découvrir toujours plus.
Surtout vu à quel point c'est bien fait ici. Déjà, l'idée du reportage animalier est très bien trouvée, et permet à Franquin de suivre un Marsupilami sur une longue période, tout en émaillant ces tranches de vie de commentaires formidables emprunté au code du genre. L'intrigue du Marsupilami est très bien construite, avec le héros (le Marsu), la conquête (LA Marsue), leur progéniture, le méchant (le Jaguar), les seconds rôle (les singes, les aras, les piranhas). Chaque animal a une place bien particulière dans le récit, et permet de construire une vraie histoire dans ce reportage, structurée, avec début, milieu et fin.
Qui plus est, cette histoire animalière permet à cet épisode de traiter frontalement des thématiques qui sont le plus souvent suggérées dans la série : l'amour, la construction d'un foyer, d'une structure familiale..., le tout avec une grande poésie, grâce à cette imagerie naïve et extrêmement colorée (les couleurs dans cet album sont superbes). Cet album est à la fois très drôle et très touchant, et le plus souvent en même temps ! Proposer une imagerie forte, tendre sans être niaise est le pari du Nid des Marsupilamis, et l'équilibre est parfaitement trouvé.
Une des forces de cet album vient aussi du fait que l'auteur connaît parfaitement son personnage. Comme le but est de connaître plus en détails les mœurs du Marsu, Franquin distille les éléments pour rendre crédible son reportage animalier (crédible à partir du moment où vous acceptez l'existence d'un tel animal, hein!) : le fait que les Marsus soient très doués pour faire des nœuds, des pièges à base de corde, tout comme la forme spécifique des œufs se relie très bien à leur queue : ces explications sont d'une logique implacable et permettent vraiment de croire en la possibilité de cet animal.
Spirou et Fantasio sont finalement donc très peu présents dans cette histoire, relégués, comme nous, au rang de spectateurs de ce conte animalier. C'est aussi une grande idée de ce tome, qui peut carrément se permettre de mettre ses héros au second plan pour ne pas parasiter son intrigue. Néanmoins, les fréquents retours dans la salle de projection (notamment grâce aux réactions de la voisine insupportable de Fantasio) permettent de les ré-associer à l'histoire et de dresser un parallèle entre nos réactions et celles de nos héros face à cette histoire. Ainsi, c'est un peu comme si on regardait le reportage AVEC eux, qu'on s'émerveillait avec eux, qu'on s'inquiétait avec eux etc.
Je n'ai que très peu parlé de techniques, tout simplement parce que c'est Franquin, au sommet de son art, et sur son sujet privilégié (le Marsu). Chaque case est donc un enchantement, et chaque réaction du Marsupilami est d'une inventivité folle. Mais c'est le contraire qui aurait été étonnant !
Histoire de râler un petit peu, on pourra grincer des dents sur la représentation de la femme dans cette BD : que ce soit Seccotine en folle du volant et pie bavarde (non mais sérieusement, regardez la longueur des bulles dans la première partie de l'histoire ! Elle ne s'arrête JAMAIS de parler) ou la Marsu (forcément coquette car c'est une femelle, et qui curieusement marche « gracieusement » sur la pointe des pieds (ça, on aurait quand même franchement pu s'en passer!)). Ce sont les symptômes prévisibles d'un BD franco-belge encore très peu ouverte aux femmes, et un peu sexiste, mais rappelons que Franquin a fait parti des premiers auteurs qui a créé des personnages féminins forts, et l'égal des héros (Seccotine a tout de même le même travail que Fantasio, et s'ils se chamaillent, elle reste très douée et respectée par Fantasio pour ce travail).
C'est grâce à son contexte très particulier que cet épisode de Spirou et Fantasio est culte. Ce qui est amusant, c'est que dans le jargon moderne et si Spirou et Fantasio était une série TV, on parlerait probablement de cet épisode comme d'un « backdoor pilot » : soit le pilote d'une nouvelle série dérivée directement au sein de la série-mère. Quant on sait que le Marsu prendra son envol bien des années plus tard, on peut voir ce tome comme un « test » pour juger de la viabilité de ce projet. Il n'empêche que cette histoire est aussi nécessaire dans l'univers de groom, tout simplement car il est important pour qu'une série (TV ou de BD) perdure qu'elle sache proposer de nouvelles choses régulièrement, même le temps d'un épisode.
Pour continuer dans mon analogie sériel, n'importe quel scénariste de série TV vous le dira, pour apprécier une saison d'une série, il faut s'inspirer des montagnes russes. C'est-à-dire qu'il faut alterner les épisodes cultes avec d'autres plus passe-partout, des épisodes « blockbusters » avec d'autres plus personnels. C'est peut être pour cette raison que La Foire aux Gangsters s'est vu ajouté au Nid des Marsupilamis. Non seulement les deux on un aspect « à part » dans l'univers Spirou, mais qui plus est, un épisode franchement plus faible comme La Foire aux Gangsters permet de faire ressortir la qualité du Nid et surtout pas de lui faire de l'ombre.
Parce que là où « le Nid » est révolutionnaire, « La Foire » est classique. Ce n'est qu'une n-ième histoire de gangster, qui a en plus le malheur de débuter de la pire des façons : en effet, l'implication de Spirou dans le récit est au mieux très maladroite, au pire franchement douteuse. Spirou et Fantasio avalent les boniments de Soto Kiki bien trop facilement, et ne font aucune vérification auprès de la police. Heureusement, faute avouée est à moitié pardonnée, on appréciera donc que Spirou se rachète un cerveau en fin d'aventure. Ce qui sauve cet épisode de la catastrophe est la caractérisation sans faille des personnages secondaires, notamment le gangster Bertrand, loin des clichés ressassés ad nauseum dans ce genre d'intrigue. Mais la vraie plus value est bien sûr la présence de Gaston, qui apporte un peu d'humour dans une histoire qui en dehors de ça n'est pas très drôle. Ainsi, si « Le Nid » était un « backdoor pilot », « La Foire » se rapproche plus du cross-over, à l'époque où les univers de Spirou et Gaston étaient encore très interpénétrés. (notons que dans le genre « cross-over », Bravo les Brothers est autrement plus intelligent et plus abouti)
Ce tome 12 est donc aussi le symbole d'une époque, où l'univers de Spirou et Fantasio était très étendu, à cheval sur plusieurs séries en production ou en devenir (Spirou, Gaston, le Marsupilami). Une sorte d'hommage de ces séries parallèles envers la série-mère.
N'empêche que si « le Nid » seul vaut largement les 5/5, la Foire au Gangsters, historiette sans prétention ne dépasserait pas vraiment les 2.5/5. Vu le rapport d'importances entre ces deux histoires, j'arrive à une note finale de 4/5.